dimanche 30 juin 2013

Le marché de la minceur risque l'effet yo-yo

Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par
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Le rapport de l'Anses a jeté un pavé dans la mare en 2010, montrant que "les régimes amaigrissants, pratiqués sans recommandation ni suivi d'un spécialiste, très largement diffusés auprès du public dans le commerce et sur Internet, présentent des risques pour la santé plus ou moins graves".
Le rapport de l'Anses a jeté un pavé dans la mare en 2010, montrant que "les régimes amaigrissants, pratiqués sans recommandation ni suivi d'un spécialiste, très largement diffusés auprès du public dans le commerce et sur Internet, présentent des risques pour la santé plus ou moins graves". | AFP/FRANÇOIS GUILLOT

Les hommes préfèrent peut-être les rondes ; les professionnels de la minceur, eux, en chérissent assurément les "ronds". La sveltesse, grande préoccupation des sociétés occidentales, justifie l'émergence de nouveaux acteurs et produits, des cosmétiques au textile en passant par les méthodes de régimes et, bien sûr, l'alimentaire lui-même.

Les produits de régime se divisent en plusieurs catégories : substituts de repas et en-cas hyperprotéinés, soupes et barquettes traiteur allégées, gellules et tisanes amaigrissantes. Au total, selon les estimations de l'institut d'études économiques Xerfi, le secteur pesait entre 2,6 et 3 milliards d'euros en 2011 en France. Dont environ 1,5 milliard d'euros pour les seuls produits allégés.
Au-delà de la minceur, de nouvelles préoccupations liées à la santé et au bien-être envahissent peu à peu les esprits et les chariots des consommateurs. Une fois rassemblés, les chiffres pour l'année 2012 devraient mettre en évidence un effet yo-yo sur ce créneau.
UN MARCHÉ "MATURE"
La diététique "minceur" recule (- 21 % en valeur depuis 2007, toujours d'après les chiffres de Xerfi, - 2,6 % entre 2010 et 2011, selon le Centre d'information de la diététique minceur, interprofessionnel), mais la diététique dans son ensemble continue de progresser.
Celle-ci profite de la poussée de nouveaux entrants : les "alicaments" – aux vertus si ce n'est curatives, au moins préventives – et le bio (ce dernier réalise depuis 2009 plus de ventes que la diététique dans les grandes surfaces), qui viennent concurrencer et stimuler les ventes des produits "santé" au sens large.
Le recul du marché de la diététique "minceur" se confirme face aux segments "quotidien" et "sport".
Le recul du marché de la diététique "minceur" se confirme face aux segments "quotidien" et "sport". | Centre d'information de la diététique minceur

Pour Xerfi, le marché de la diététique minceur est désormais "mature", c'est-à-dire sans grand espoir de croissance importante. Certains segments ont été sérieusement chahutés au cours des dernières années, comme les produits des marques purement alimentaires (sans accompagnement ou coaching) de type Slim-Fast (propriété de la multinationale Unilever), qui a disparu des rayons de l'Hexagone dans les années 2000.
Inversement, d'autres marchés ont bénéficié d'effets d'entraînement indirects plus inattendus. Depuis la popularisation du régime du nutritionniste Pierre Dukan dans les années 2000 et son programme à base de protéines, le segment des "allégés" s'est modifié en profondeur.
Si l'entreprise se définit comme une PME familiale (avec 120 employés et 38 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2012, doublé en deux ans), son impact sur le marché s'est fait ressentir à tous les étages. Certains produits connaissent une nouvelle heure de gloire : la viande des grisons, le surimi et les Carrés frais 0 %, chouchous des menus Dukan, ont vu leurs ventes s'envoler.
TAILLER DES CROUPIÈRES AUX GÉANTS DE L'AGROALIMENTAIRE
Car il reste de généreuses miettes à se partager. L'engouement pour les arguments santé et la "naturalité" (néologisme dont use l'industrie) n'est que le début d'une tendance dont tous essaient de profiter, y compris les grandes surfaces, avec le développement de marques distributeurs.
Celles-ci, comme la gamme Bien pour vous de Casino, viennent tailler des croupières aux deux géants de l'agroalimentaire, Danone et Nestlé, qui s'étaient engouffrés sur le créneau de la minceur – depuis soixante ans pour Danone avec sa marque Taillefine, et une trentaine d'années pour Nestlé, qui ne vend que depuis les années 1990 son eau Contrex et ses céréales Fitness.
Distributeurs et colosses de l'agroalimentaire se taillent la part du lion, en volume comme en valeur, sur la majorité des ventes réalisées en grandes surfaces (circuit principal de distribution) grâce à des économies d'échelle qui permettent d'offrir des prix plus bas.
Pour Dukan, contrairement à l'activité "coaching" (son cœur de métier), dont le prix peut être adapté au marché ou aux circonstances, "la marge de manœuvre est plus étroite" sur les produits, de l'aveu de son directeur général. Certains coûts sont en effet incompressibles, comme les transports et les matières premières. "Nous achetons du son d'avoine en Finlande à 1 500 euros la tonne [contre un peu moins de 200 euros la tonne de blé, par exemple], ainsi que des produits qui viennent de Chine, comme la racine de konjac...", explique Philippe Mascaras.
Leader incontesté du secteur, avec plus d'un milliard d'euros de chiffres d'affaires dans le monde, dont plusieurs centaines de millions d'euros de royalties touchées en France sur les licences sur les produits alimentaires, Weight Watchers a choisi de confier la production à Brossart, Yoplait ou Marie, en essayant de rester concentré sur les services (coaching sur Internet, réunions, etc.).
"C'est une activité satellite, cautionnée par les services", reconnaît la directrice licences et produits en France, Christel Delasson. Même si la marque affiche une croissance à deux chiffres dans les plats cuisinés, elle reconnaît que l'ultra-frais (produits laitiers, notamment) est en perte de vitesse, cannibalisé par l'agroalimentaire et les marques blanches. De même, et ce n'est pas un détail pour WW, la vente de salades est fortement corrélée à la météo et ses caprices.
Déléguer pour mieux cuisiner, la recette fait des émules : Distriborg, qui détient les marques Gayelord Hauser et Bjorg (chiffre d'affaires de 237 millions d'euros sur l'an passé), et Dukan n'ont pas non plus d'usines en propre et passent par des sous-traitants.
UN MARKETING GOURMAND
Fait étonnant : les géants Danone et Nestlé, dont le cœur de métier englobe l'alimentaire, ne comptent pas sur le segment "produits allégés" ou "minceur" pour dynamiser leurs performances : le dernier rapport annuel de Nestlé précise que, si la branche "nutrition et santé" affiche une croissance de 6,7 % par rapport à 2011, "la gestion du poids a continué à sous-performer".
L'activité de contrôle du poids ne représentait en 2009 que 5 à 6 % du chiffre d'affaires de Nestlé Nutrition, selon Richard Laube, directeur général de la branche, qui a réalisé 8,69 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2012. Soit entre 450 et 520 millions d'euros si la proportion est restée identique.
En 2010, le Suisse a décidé de se lancer dans le conseil, copiant ainsi le modèle économique Dukan et Weight Watchers, avec la marque Jenny Craig, du nom d'une Américaine star du régime. La marque, qui réalise un chiffre d'affaires d'environ 400 millions d'euros, vend des produits et un suivi personnalisé par le biais d'un centre d'appels et d'un réseau de boutiques.
Les magasins Jenny Craig, comme celui de l'avenue Wagram, à Paris (17e), est inspiré du modèle Nespresso, "direct to consumer", et des boutiques NaturHouse, dédiés à la "rééducation alimentaire".
Les magasins Jenny Craig, comme celui de l'avenue Wagram, à Paris (17e), est inspiré du modèle Nespresso, "direct to consumer", et des boutiques NaturHouse, dédiés à la "rééducation alimentaire". | Jenny Craig

La marque en possède déjà une vingtaine dans l'Hexagone, inspirées du modèle maison Nespresso ("direct to consumer") et des boutiques NaturHouse, dédiées à la "rééducation alimentaire". Autre innovation, qui n'est pas encore arrivée en France, Jenny Craig s'est récemment associée au programme "The Power of Two", qui consiste à faire maigrir (et consommer) ensemble l'animal de compagnie et son maître, là aussi avec un coaching adapté à la clé.
Même stratégie du côté des acteurs traditionnels, qui misent "de moins en moins sur le produit, de plus en plus sur la dimension service : coaching, accompagnement, livraison de repas à domicile, etc.", décrit Xerfi. Nutrition & Santé (propriétaire des marques Gerlinea et Milical) a de cette façon réussi à maintenir en 2012 son chiffre d'affaires de l'année précédente, soit 318 millions d'euros.
L'HYPERMARCHÉ ET LES ÉMERGENTS, RELAIS DES KILOS EN MOINS
Outre les économies d'échelle limitées pour les petits groupes, se pose la question de la distribution. Selon le Centre d'information de la diététique minceur, les ventes passent essentiellement par le circuit des grandes et moyennes surfaces. Problème : les plus petits, comme Dukan, estiment lutter à armes inégales contre des concurrents comme Nestlé et Danone, qui ont "une force de négociation décisive face aux centrales d'achats de la grande distribution et décident quasiment de l'organisation des linéaires".
Le marché de la diététique adulte passe essentiellement par les grandes et moyennes surfaces.
Le marché de la diététique adulte passe essentiellement par les grandes et moyennes surfaces. | Centre d'information de la diététique minceur

Autre obstacle au développement, et pas des moindres : les études des autorités sanitaires qui s'interrogent sur la pertinence de certains régimes. C'est le cas notamment du rapport de 2010 de l'Anses, qui montre que "les régimes amaigrissants, pratiqués sans recommandation ni suivi d'un spécialiste, très largement diffusés auprès du public dans le commerce et sur Internet, présentent des risques pour la santé, plus ou moins graves".
Cela n'empêche pas Pierre Dukan d'être optimiste. Le groupe a trouvé des relais dans les boutiques spécialisées en diététique et dans les pharmacies et parapharmacies, tandis que son site Internet lui permet de vendre ses produits en ligne et de pallier la baisse de fréquentation de ses réunions depuis 2010. La Toile voit d'ailleurs converger de nombreux acteurs, comme les sites de presse féminine ou santé, ou encore les "pure players" (Ilovemydietcoach.com, Moncoachingminceur.com, Dietboutique.com, etc.), qui pourraient bouleverser une nouvelle fois un marché instable et opportuniste.
"Pour l'instant, l'industrie de la minceur n'est pas encore réelle, et s'en tient à celle de l'allégé. C'est le cas de Coca, qui fait du light et du zéro, des chewing-gums sans sucre et des laitages à 0 %. Mais tout reste à faire, et il existe de formidables opportunités pour l'industrie française", juge le nutritionniste star. Une mission qui s'exporte comme n'importe quel produit français, puisque le groupe vient de se lancer, à la mi-mai, en Russie et au Brésil, après les Etats-Unis et la Chine.

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