vendredi 22 février 2013


Manger sans s’empoisonner

Selon une récente étude, 85 % de notre alimentation ne présente aucun risque sanitaire. Et pourtant, entre polluants chimiques invisibles mais qui s’accumulent et nourriture industrielle trop grasse, trop salée ou trop sucrée… manger sain devient de plus en plus compliqué.

On va finir par attraper une indigestion. Après les biberons au bisphénol A qu’il a fallu mettre à la poubelle, la bactérie E. coli qui nous intoxique… manger est devenu un véritable casse-tête.

Et pourtant, nous assurent les spécialistes, la qualité de l’alimentation n’a jamais été aussi bien contrôlée. Sauf fraude ou négligence, il n’y aurait donc pas de quoi s’affoler. Selon l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), les cas de salmonellose sont passés de 7 000 en 1990 à 2 000 actuellement. Le hic, c’est que, quand un germe échappe à la détection, il s’accroche et devient très virulent, car il développe des résistances aux antibiotiques et autres antifongiques utilisés pour le neutraliser.

Mais on a beau traquer les microbes dans nos assiettes, le problème est peut-être ailleurs. «  On mange mal  », prévient Christian Rémésy, nutritionniste et directeur honoraire à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), auteur de l’Alimentation durable (éd. Odile Jacob, 21,90 €). Il faut dire qu’en soixante ans l’industrie agroalimentaire a révolutionné les menus en transformant les produits. «  C’est un délire sans commune mesure, assure Pierre Meneton, chercheur à l’Inserm et auteur du livre le Sel, un tueur caché (éd. Favre, 16 euros).

 
Sur les 500 000 à 600 000 aliments transformés vendus, 90 % sont déséquilibrés.  » Trop gras, trop salé, trop sucré, trop coloré, trop tout  ! Trop chimique surtout.

 
Une vraie soupe chimique

 
Mais voilà, dans les années 1960, il a fallu produire plus pour le plus grand nombre, c’était le deal. Pour que les cultures poussent plus vite, on a utilisé des pesticides. A fond. Résultat de cette potion magique : un agriculteur nourrit 100 personnes aujourd’hui, contre 20 il y a cinquante ans, mais 20 à 25 % des fruits et légumes sont jetés parce qu’ils ne sont pas assez beaux pour les étals des supermarchés. Et, alors que 30 000 petits agriculteurs disparaissent tous les ans, on importe de la laitue du Niger, des haricots verts du Kenya… produits à bas prix. Par-dessus le marché, les polluants ont envahi le contenu de nos Caddies.


Une vraie soupe chimique. «  Cha­que famille […] est contaminée par 18 composés différents  », résume le toxicologue Jean-François Narbonne, dans son livre Sang pour sang toxique (éd. Fayard, 19,90 €).


Le 30 juin dernier, à l’issue d’une étude sur l’exposition des consommateurs aux substances chimiques présentes dans les aliments, l’Agence nationale de sécurité sani­taire de l’alimentation (Anses) s’est voulue rassurante : selon elle, 85 % des produits analysés ne présentent aucun risque sanitaire. Reste néanmoins 15 % pour lesquels elle n’écarte pas un risque toxicologique potentiel (voir encadré). De plus, l’étude ne prend pas en compte les expositions croisées, autrement dit l’accumulation de polluants chimiques que nous ingérons et dont l’interaction dans l’organisme pourrait produire un effet «  cocktail  » dont nous ignorons tout.

Or, selon une enquête de l’association Générations futures, en mangeant normalement, un enfant de dix ans avale dans une seule journée 47 résidus chimiques suspectés d’être cancérigènes et 37 soupçonnés d’être des perturbateurs endocriniens, capables de modifier notre système hormonal. Parmi ces indésirables, du Dtt, un insecticide interdit depuis quarante ans, qu’on a retrouvé dans du saumon  ! Même les bébés sont contaminés : en 2005, une étude américaine a retrouvé la trace de 287 substances différentes dans le sang du cordon ombilical de nouveau-nés. Pour éviter les surdoses, l’Anses recommande à chacun de «  diversifier  » son alimentation.

Des valeurs de références douteuses ?

Tout irait bien malgré tout si on était sûr que les valeurs de référence, les fameuses doses journalières admissibles (Dja) qui fixent les quantités de toxiques que nous pouvons avaler sans problème, soient les bonnes. Le souci, c’est qu’elles ont été calculées sur l’idée que la dose faisait le poison et que seules les plus fortes étaient nuisibles. Mais de nombreuses études suggèrent aujourd’hui que même les faibles doses peuvent avoir un impact sur la santé, surtout lors du développement du fœtus, de l’allaitement et de la petite enfance.
 
Autre inquiétude : l’orientation de certaines analyses sur les nouvelles substances mises sur le marché. «  Un article du Journal of the American Medical Association indique que les études qui sont financées par le fabricant sont quatre fois plus favorables au produit que les autres  », explique Pierre Meneton.

De quoi alimenter les doutes quand on sait que l’aspartame, dont l’homologation a d’abord été refusée par les autorités sanitaires américaines pour ses effets neurologiques, a été autorisé un an plus tard sans que les études sur lesquelles repose la Dja aient fait l’objet d’une publication scientifique. Un comble  !





 

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