Manger sans s’empoisonner
Selon une récente étude, 85 % de
notre alimentation ne présente aucun risque sanitaire. Et pourtant,
entre polluants chimiques invisibles mais qui s’accumulent et
nourriture industrielle trop grasse, trop salée ou trop sucrée…
manger sain devient de plus en plus compliqué.
On va finir par attraper une
indigestion. Après les biberons au bisphénol A qu’il a fallu
mettre à la poubelle, la bactérie E. coli qui nous intoxique…
manger est devenu un véritable casse-tête.
Et pourtant, nous assurent les
spécialistes, la qualité de l’alimentation n’a jamais été
aussi bien contrôlée. Sauf fraude ou négligence, il n’y aurait
donc pas de quoi s’affoler. Selon l’Agence française de sécurité
sanitaire des aliments (Afssa), les cas de salmonellose sont passés
de 7 000 en 1990 à 2 000 actuellement. Le hic, c’est que,
quand un germe échappe à la détection, il s’accroche et devient
très virulent, car il développe des résistances aux antibiotiques
et autres antifongiques utilisés pour le neutraliser.
Mais on a beau traquer les microbes
dans nos assiettes, le problème est peut-être ailleurs. « On
mange mal », prévient Christian Rémésy, nutritionniste et
directeur honoraire à l’Institut national de la recherche
agronomique (Inra), auteur de l’Alimentation durable (éd. Odile
Jacob, 21,90 €). Il faut dire qu’en soixante ans l’industrie
agroalimentaire a révolutionné les menus en transformant les
produits. « C’est un délire sans commune mesure, assure Pierre
Meneton, chercheur à l’Inserm et auteur du livre le Sel, un tueur
caché (éd. Favre, 16 euros).
Sur les 500 000 à 600 000
aliments transformés vendus, 90 % sont déséquilibrés. »
Trop gras, trop salé, trop sucré, trop coloré, trop tout ! Trop
chimique surtout.
Une vraie soupe chimique
Mais voilà, dans les années 1960, il
a fallu produire plus pour le plus grand nombre, c’était le deal.
Pour que les cultures poussent plus vite, on a utilisé des
pesticides. A fond. Résultat de cette potion magique : un
agriculteur nourrit 100 personnes aujourd’hui, contre 20 il y a
cinquante ans, mais 20 à 25 % des fruits et légumes sont jetés
parce qu’ils ne sont pas assez beaux pour les étals des
supermarchés. Et, alors que 30 000 petits agriculteurs
disparaissent tous les ans, on importe de la laitue du Niger, des
haricots verts du Kenya… produits à bas prix. Par-dessus le
marché, les polluants ont envahi le contenu de nos Caddies.
Une vraie soupe chimique. « Chaque
famille […] est contaminée par 18 composés différents »,
résume le toxicologue Jean-François Narbonne, dans son livre Sang
pour sang toxique (éd. Fayard, 19,90 €).
Le 30 juin dernier, à l’issue
d’une étude sur l’exposition des consommateurs aux substances
chimiques présentes dans les aliments, l’Agence nationale de
sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) s’est voulue
rassurante : selon elle, 85 % des produits analysés ne présentent
aucun risque sanitaire. Reste néanmoins 15 % pour lesquels elle
n’écarte pas un risque toxicologique potentiel (voir encadré). De
plus, l’étude ne prend pas en compte les expositions croisées,
autrement dit l’accumulation de polluants chimiques que nous
ingérons et dont l’interaction dans l’organisme pourrait
produire un effet « cocktail » dont nous ignorons tout.
Or, selon une enquête de l’association
Générations futures, en mangeant normalement, un enfant de dix ans
avale dans une seule journée 47 résidus chimiques suspectés d’être
cancérigènes et 37 soupçonnés d’être des perturbateurs
endocriniens, capables de modifier notre système hormonal. Parmi ces
indésirables, du Dtt, un insecticide interdit depuis quarante ans,
qu’on a retrouvé dans du saumon ! Même les bébés sont
contaminés : en 2005, une étude américaine a retrouvé la trace de
287 substances différentes dans le sang du cordon ombilical de
nouveau-nés. Pour éviter les surdoses, l’Anses recommande à
chacun de « diversifier » son alimentation.
Des valeurs de références douteuses ?
Tout irait bien malgré tout si on
était sûr que les valeurs de référence, les fameuses doses
journalières admissibles (Dja) qui fixent les quantités de toxiques
que nous pouvons avaler sans problème, soient les bonnes. Le souci,
c’est qu’elles ont été calculées sur l’idée que la dose
faisait le poison et que seules les plus fortes étaient nuisibles.
Mais de nombreuses études suggèrent aujourd’hui que même les
faibles doses peuvent avoir un impact sur la santé, surtout lors du
développement du fœtus, de l’allaitement et de la petite enfance.
Autre inquiétude : l’orientation de
certaines analyses sur les nouvelles substances mises sur le marché.
« Un article du Journal of the American Medical Association
indique que les études qui sont financées par le fabricant sont
quatre fois plus favorables au produit que les autres », explique
Pierre Meneton.
De quoi alimenter les doutes quand on
sait que l’aspartame, dont l’homologation a d’abord été
refusée par les autorités sanitaires américaines pour ses effets
neurologiques, a été autorisé un an plus tard sans que les études
sur lesquelles repose la Dja aient fait l’objet d’une publication
scientifique. Un comble !
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