vendredi 22 février 2013

Enquête sur les scandales alimentaires

 
Par par Laurent Chabrun, Eric Pelletier et , publié le
Viandes avariées, arnaques aux labels, faux beurre, vins falsifiés... Chaque semaine apporte son lot de scandales. La garde des Sceaux a pris les choses en main. Policiers et gendarmes se mobilisent. Révélations sur les principaux dossiers dont est saisie la justice
"La France traverse, ainsi que l'Europe tout entière, une crise sanitaire sans précédent par son envergure, liée aux modes de fabrication, de distribution et de consommation des produits alimentaires." Ce constat, plus qu'alarmant, est établi par la garde des Sceaux, Marylise Lebranchu. Dans une circulaire interne adressée à tous les procureurs, le 14 février dernier, la ministre, ancienne secrétaire d'Etat à la Consommation, souligne l'urgence d'un renforcement des contrôles. "Il s'agit de faire comprendre que ces dossiers sont des délits majeurs et que l'action publique doit être plus présente et plus efficace", résume-t-elle. La guerre à la "malbouffe" est déclarée.
Les sanctions promettent d'être exemplaires. Le 13 mars dernier, le parquet de Bordeaux a ainsi requis deux ans d'emprisonnement ferme contre les frères Brunet, deux commerçants qui ont longtemps tenu l'une des boucheries les plus réputées de la ville. Le tribunal venait de se pencher, pendant deux jours, sur les pratiques peu ragoûtantes de l'établissement, allant du faux étiquetage au lavage de têtes de veau à l'eau oxygénée. Et le cas Brunet est loin d'être isolé.
L'Express peut ainsi dévoiler les principaux dossiers actuellement entre les mains de la justice (voir la carte page 100). Plus d'une trentaine au total, sans compter les enquêtes qui concernent la propagation de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Canard avarié, fausses céréales biologiques, lait trafiqué, b?uf aux hormones, vin au vinaigre (voir les reportages pages 104 et 106)... Il ne se passe plus une semaine sans qu'un nouveau scandale éclate et révèle des pratiques donnant la nausée. Ici, on passe la viande au détergent pour lui donner l'aspect du "frais"; là, on mélange des boues d'épuration aux aliments pour animaux d'élevage destinés à la consommation; ou l'on implante des anabolisants derrière l'oreille des b?ufs pour qu'ils grossissent plus vite...
Notre enquête fait aussi apparaître d'importantes différences dans le traitement judiciaire réservé, jusqu'à présent, à ce type d'affaires. Selon les tribunaux ou les services répressifs concernés, les suites données ne sont pas identiques. De plus, de nombreux services, rattachés à plusieurs ministères, sont amenés à intervenir: vétérinaires, répression des fraudes, police, gendarmerie, douanes... De quoi expliquer, en partie, les difficultés éprouvées pour faire remonter l'information. Sans compter les conséquences économiques de ces dossiers, qui imposent une certaine discrétion.
L'heure est pourtant à la centralisation. On sonne même le tocsin à la chancellerie. La Direction des affaires criminelles et des grâces dresse, désormais, un bilan régulier. Signe des temps, ce "tableau de bord" est disponible sur un site Internet réservé aux magistrats. Placés en première ligne dans ce type d'enquêtes, la gendarmerie et son Bureau animation coordination (Bac) recensent toutes les fraudes. De son côté, la police judiciaire a mis en place un nouveau groupe de travail sur la criminalité liée aux atteintes à la sécurité alimentaire (Casa), dirigé par la commissaire Mireille Ballestrazzi.
Les services d'enquête cherchent à s'adapter à ces affaires d'un nouveau genre. Ainsi, policiers et gendarmes sont désormais confrontés à la question de la traçabilité. Un problème qui a fait irruption sur la place publique avec l'apparition de la crise de la vache folle, en 1996. Depuis, afin d'identifier les fournisseurs, les investigations lancées en France - une soixantaine de procédures au total - tentent de remonter les filières qui ont fourni des aliments contaminés aux éleveurs.
La traçabilité concerne aussi la nourriture humaine. Ainsi, l'ancien PDG de la société Panzani pourrait se retrouver, prochainement, devant la justice pour avoir certifié à des clients que ses produits ne contenaient pas de viande anglaise. Une affirmation présomptueuse, comme l'a démontré, à l'époque, l'enquête de la répression des fraudes (voir le reportage page 108). Quant à la juge Edith Boizette, elle n'a pas perdu l'espoir de faire, enfin, la lumière sur la provenance réelle de 300 kilos de viande hachée découverts dans les cuisines du Hard Rock Café, à Paris, en 1996. Elle a bien l'intention de poursuivre ses investigations jusqu'à Orlando, en Floride, siège de l'entreprise (voir le reportage page 108).
Plus récemment, au début du mois de mars, un éleveur de la Vienne aurait sciemment fait venir de Grande-Bretagne des centaines de moutons en pleine épidémie de fièvre aphteuse. Sur les 300 ovins importés, une centaine n'a toujours pas été retrouvée. Il est vrai qu'à l'instar de certaines filières d'immigration clandestine les "passeurs" ont en effet souvent recours à de faux "documents d'identité". A Chambéry, après la découverte d'un cas d'encéphalopathie spongiforme, un juge d'instruction tente de retracer le parcours précis d'une vache. Or les enquêteurs de la police judiciaire éprouvent les plus grandes difficultés à reconstituer la vie de l'animal, de l'insémination à l'abattage. Seule certitude: des tests ADN ont contredit les mentions d'origine portées sur les documents attestant son identité...
Le renforcement des normes en matière d'hygiène n'a pas suffi non plus à endiguer la prolifération des dossiers de nourriture avariée. En août 1999, les gendarmes saisissaient 40 tonnes de viande putréfiée, à Pontoise et à Senlis. Comme c'est souvent le cas, cette affaire de santé publique se doublait d'une escroquerie. Interdit de gérer, le responsable de la société avait créé son entreprise sous une fausse identité, deux mois plus tôt. Il importait la viande, mais oubliait de payer ses fournisseurs belges. La nourriture apparaît à l'occasion comme un prétexte à des investissements douteux. Voire à des activités de blanchiment. Un dossier, instruit à Créteil, met ainsi en lumière des pratiques effrayantes. A l'origine: la Mafia napolitaine. Elle a choisi d'investir dans la filière du beurre, pour bénéficier des aides de l'Union européenne. A l'arrivée: un véritable poison. Pour un rendement maximal, la marchandise était fabriquée à partir de suif, de saindoux, de graisses végétales et de produits chimiques de synthèse. Ce sont des "repentis" italiens qui ont donné l'alerte. Mais de grandes laiteries françaises avaient déjà acheté le produit. L'une d'elles, qui importait 5 000 tonnes de beurre italien par an, en aurait sciemment mis une partie dans le circuit alimentaire. Une perquisition dans un entrepôt implanté dans le Tarn-et-Garonne a révélé un état de "moisissure avancée". Le "beurre" n'aurait pas été utilisé pour de simples "raisons techniques": la machine à désodoriser ne fonctionnait pas...
Très organisée, la filière des anabolisants relève, elle aussi, des pratiques mafieuses. En France, on se paie encore sur la bête: les bonnes vieilles méthodes d'engraissement artificiel du bétail sont loin d'avoir disparu. Ceux qu'un haut magistrat appelle les "empoisonneurs" sévissent toujours dans les campagnes, comme le montrent deux dossiers, instruits l'un à Foix et l'autre à Rodez. Les produits sont généralement importés de Belgique ou d'Espagne, à partir de molécules créées en Europe de l'Est. Selon un officier de gendarmerie, le prix varie entre 2 400 et 7 000 francs le litre.
Une solution miracle, qui permettrait de gagner 500 francs sur un veau et 1 500 francs sur une génisse. Les conséquences sur la santé du consommateur restent encore mal connues. Elles apparaissent beaucoup plus évidentes dans les affaires de listériose. Cette maladie, due à l'infection des aliments par un bacille, tue encore chaque année. A Dijon, le juge Frédéric Desaunettes met ainsi la dernière main à un lourd dossier. En 1999, la listeria qui s'était répandue dans des fromages d'Epoisses avait causé la mort de deux personnes et en avait laissé une troisième infirme.
Pris dans cette tourmente alimentaire, le consommateur croyait pouvoir se raccrocher aux étiquettes. Marylise Lebranchu confie, à ce propos, que lors d'un conflit devant les prud'hommes des salariés avaient révélé qu'ils étaient rémunérés uniquement pour changer les dates de péremption des conserves... Quant aux labels, qui fleurissent depuis quelques années afin de rassurer les consommateurs, ils sont, à leur tour, rattrapés par les scandales. La demande croissante en produits provenant de l'agriculture biologique n'a pas manqué de susciter des fraudes. Et même le bon vieux b?uf du Limousin, dûment labellisé, n'est plus à l'abri (voir le reportage page 102). Si la guerre contre la malbouffe est loin d'être gagnée, le combat, au moins, est engagé.

http://www.lexpress.fr/actualite/sciences/sante/enquete-sur-les-scandales-alimentaires_483650.html

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