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Santé / Bruno Toussaint, directeur de
Prescrire
« Il faut se préparer à retirer du
marché les pilules de 3ème génération »
©Patrick ALLARD/REA
Vendredi 11 janvier, la ministre de la
Santé, Marisol Touraine, a annoncé des mesures pour limiter la
prescription des pilules de 3ème et 4ème génération. Réaction de
Bruno Toussaint, directeur de la revue indépendante Prescrire.
Que pensez-vous des mesures annoncées
par la ministre de la Santé ?
C’est bien que les pouvoirs publics
réagissent, mieux vaut tard que jamais. Depuis que ces pilules ont
été mises sur le marché, les firmes n’ont jamais pu prouver
sérieusement qu’elles soient plus efficaces que celles de 2ème
génération. Pourtant, depuis leur commercialisation dans années
80-90, elles ont eu le temps de le faire. En revanche, il est clair
qu’elles sont plus dangereuses puisqu’elles multiplient par
environ par deux le risque de phlébites, thromboses veineuses et
d’embolies pulmonaires. Il faut donc en tirer les conséquences.
C’est-à-dire ?
Il n’est pas justifié de continuer à
utiliser ces pilules. Il faut les écarter, apprendre aux femmes et
aux prescripteurs à s’en passer et se préparer à les retirer du
marché. Il n’y a pas d’urgence, on a un peu de temps mais à
l’occasion du renouvellement de leur pilule de 3ème ou 4ème
génération, il faut proposer aux femmes une pilule qui soit mieux,
voire un autre moyen de contraception comme le stérilet, par
exemple. C’est à examiner avec chacune. La ministre de la Santé a
annoncé qu’il fallait revenir à la pilule de 2ème génération
et arrêter de rembourser celle de 3ème génération. Elle sollicite
également l’intervention de l’Agence européenne du médicament,
tout cela va dans le bon sens. Mais à notre avis, il faut aller
jusqu’au retrait de ces pilules.
Cela vous semble t-il possible de
convaincre l’Agence européenne ?
L’Agence européenne du médicament
souffre des mêmes maux que l’Agence française : elle a des moyens
beaucoup plus faibles que les firmes pharmaceutiques et elle a
souvent recours à des experts qui ont des liens d’intérêt avec
l’industrie pharmaceutique et qui sont sous influence. C’est donc
difficile de la faire changer d’avis. Néanmoins, ce n’est pas
impossible. L’Agence européenne a dû faire face à l’affaire du
Médiator et elle a bien fini par suivre la décision française de
le retirer. Pareil pour le Di-antalvic même si ça a été long.
Elle résiste sur divers médicaments encore mais pas pour longtemps
car les faits sont là. Pour l’instant, elle dit qu’elle a déjà
examiné le dossier et qu’il n’y a pas d’éléments nouveaux.
Si, il y en a un : des millions de femmes viennent de réaliser qu’on
ne leur donne pas la meilleure pilule. L’Agence du médicament a
examiné le dossier il y a des années et il y a des années qu’elle
n’a pas pris la bonne décision. Il va falloir qu’elle se déjuge,
c’est toujours difficile de changer d’avis.
A défaut, que se passera-t-il ?
Si ces pilules restent sur le marché,
il y a des femmes qui resteront exposées à un danger injustifié.
Or, il n’y a aucune raison médicale de continuer à les prendre.
Il faut un peu de temps pour changer ses habitudes car beaucoup
d’utilisatrices les trouvent très bien mais certaines
d’entre-elles courent quand même le risque qu’il leur arrive un
accident de santé sérieux un jour. Avec une autre pilule, le risque
est deux fois moins important. La réalité aujourd’hui, c’est
que les femmes sont exposées à des médicaments plus dangereux
qu’utiles.
Les accidents arrivent-ils
principalement en début de traitement ?
Effectivement, on a observé qu’ils
surviennent surtout au début mais cela ne veut pas dire que c’est
fini après. Et puis, même s’il n’y avait qu’une femme ou deux
qui aient un problème longtemps après, c’est trop. Encore une
fois, je le répète, malgré les avis de tous un tas de
spécialistes, les firmes n’ont jamais prouvé qu’elles soient
plus avantageuses que les autres. Les avis de la Commission de la
transparence de la Haute Autorité de Santé publiés en 2002, 2007,
2009 et 2012 le confirment.
Pourquoi l’avoir prescrite à tour
de bras ?
Ce phénomène existe souvent dans le
domaine du médicament. Les autorités sanitaires recommandent de
n’utiliser un médicament que dans telle ou telle circonstance,
comme là, en deuxième intention. C’est écrit en tout petit mais
c’est écrit. En face, les firmes, qui sont en concurrence les unes
avec les autres, ont bien l’autorisation de vendre leurs pilules.
Elles font donc ce que tout le monde ferait : la promotion auprès
des médecins. Dans leurs publicités, elles écrivent en gros que
leur pilule est super et en minuscule qu’il faut la réserver en
deuxième intention. Les prescripteurs sont des êtres humains, à
partir du moment où on leur dit que c’est très bien, ils y
croient. Une minorité seulement ont l’esprit plus critique et vont
regarder les détails des mentions et s’apercevoir que ce n’est
pas si simple. La seule décision qui mettra les femmes à l’abri,
c’est de les retirer du marché. Sinon il va se passer ce qui s’est
produit pour le Mediator pendant 30 ans.
On ne peut pas compter sur la
vigilance des médecins ?
Si, bien sûr, il faut que les médecins
soient vigilants mais il faut les aider. Primo, ils n’ont pas que
ça à faire. Secundo, il faut mesurer le rapport de force. Le
chiffre d’affaires des firmes pharmaceutiques en France, tout
médicament confondu, est de l’ordre de 40 à 50 milliards d’euros.
Le budget de fonctionnement de l’Agence française du médicament
est de l’ordre de 150 millions. En terme de communication, quand
les médecins reçoivent un message de l’Agence du médicament qui
leur dit « faites attention », ils en reçoivent 300 des firmes qui
leur disent « c’est génial ». Faut avoir l’ouïe fine pour
entendre le message noyé dans les 300 autres. Les pouvoirs publics
ont intérêt pour la santé publique à avoir des messages clairs.
Ça n’aide pas les médecins de leur dire, « c’est autorisé
sans être tout à fait autorisé », surtout quand les firmes ont
les moyens d’influence qu’on connaît. La sécurité du
médicament doit bénéficier d’abord aux patients et non aux
firmes pharmaceutiques.
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